Analyse de la personne négative
Mamoun Moubarak Dribi
Article basé sur les travaux de :
André Green - Wilfred Bion – Donald Winnicott – Mélanie Klein - Harold Searles
Les manifestations du négatif dans la vie courante sont présentes partout et tout le temps. Au niveau du discours en premier lieu. Vous entendrez les personnes négatives se plaindre tout le temps de tout et de rien, et émettre un avis négatif sur toute chose. Elles sont tellement malines pour ne pas se laisser prendre, en usant avec finesse de théâtralité et de bonhommie.
Il vous suffit d’adresser une critique justifiée à quelqu’un de « négatif » que vous connaissez, pour le voir se rebiffer et se renfermer… sans laisser rien transparaitre pour certains, qui pour peu qu’elles déploient un faux self (personnage) pour paraitre, et le tour est joué !! la ratiocination chez ses personnes est de rigueur pour argumenter et contre argumenter sans fin. Le but final est de retourner la situation contre l’autre, parce qu’elles considèrent ses remarques non pas comme une critique constructive mais plutôt comme ‘quelque chose de négatif’’ désobligeant, injuste, injustifié voire même blessant…
Imaginez-vous un peu être avec un conjoint négatif !! Vous aurez énormément de mal à lui faire entendre votre discours ou vos remarques. Il est hors de question d’espérer atteindre le niveau d’une critique. N’allez pas croire qu’une discussion, aussi aimable soit-elle puisse changer les choses ! On dirait presque que les mots ne l’atteignent pas ! Il n’est pas du tout réceptif, sauf quand il a un besoin ou une demande… là vous le verrez déployer toutes sortes d’artifices et de manières au niveau de son approche pour obtenir de vous ce dont il a besoin…
Face à une critique, la personne « négative » aura des réactions émotionnelles négatives disproportionnelles où fusent les reproches, et les justifications soutenues par des argumentaires d’une rigueur logiques et rationnelles impressionnantes, mais dans le but ultime est une inversion terrible au niveau de l’objet visé par le sujet que vous avez tenté d’aborder. Ce n’est plus elle, qui fait l’objet du sujet de la discussion, mais ça sera bel et bien vous-même l’objet de ce sujet. Le retournement de la situation contre vous se fera dans les règles de l’art !! Pour peu que vous manifestiez de la colère ou de la frustration !! Ou que votre ton soit autoritaire !! ou qu’un mot soit vulgaire ou de travers !! Sans oublier Le veto ultime : il va toujours invoquer vos erreurs du passé !! Ia personne « négative » a une mémoire infaillible du malheur…Même si au niveau de son discours elle prétend avoir pardonné, oublié et tourner la page.
N’espérez pas que la personne négative dépasse cet aspect apparent de votre discours ou de votre manière de parler !! et qu’elle fasse un effort pour essayer d’entendre votre doléance, au-delà de ce qui se dit ou se manifeste !! Bien au contraire, la balle sera saisie au vol !! Vous subirez alors divers degrés de sa colère ou de sa crise de larmes !! Prétextant de l’emploi d’un mot ou d’une attitude qu’elle considère blessante à son égard !! Vous aurez, alors affaire à une terrible impulsivité qui sera suivi de divers mesures de rétorsion d’ordre affectif et relationnel. Vous la verrez même tomber malade, pour ensuite sombrer dans le désespoir et la tristesse pour en définitive remettre en cause la relation avec vous… L’éminente Mélanie Klein parle ici de positions schizo paranoïdes.
Durant cette crise, la personne négative va abonder dans un discours empreint de quérulences douloureuses. Car elle est l’incarnation de la bonté et de la gentillesse et que vous par contre vous n’êtes que méchanceté et ingratitude (entre autres) … La crise va durer jusqu’à ce que vous présentiez vos excuses les plus plates, en regrettant amèrement tout ce que vous lui avez dit !! Et surtout que vous arrêtiez de prendre son discours et ses réactions comme étant négatives… Souvent des personnes tierces seront mises à contribution pour soutenir la personne négative, généralement les parents et la famille sont en première ligne !! Tous vont alors étaler devant vous, une liste bien longue de toutes les qualités humaines exceptionnelles de leur fils ou de leur fille « négative » trait hélas, qu’elles semblent ignorer, ou feignent « ne pas savoir » …
N’oublions pas qu’un arbre provient généralement d’une forêt…
Plusieurs questions s’imposent à nous :
· Les personnes négatives sont-elles conscientes de leur « négativisme » ?
· Quelle pourrait être l’origine d’une telle structure ?
· Y’a-t-il des solutions ?
Pour répondre à ses questions, je vais vous parler de l’excellent ouvrage « Le travail du négatif » écrit par le psychanalyste André Green. Mais auparavant lisons cette introduction du psychanalyste britannique Wilfred Bion :
« Le négatif n’est pas une insuffisance ou un déficit, le non-comprendre est mis en œuvre par la psyché du patient lorsque celui-ci a intérêt à rendre son entendement sourd ».
La théorie de Bion est basée autour de deux axes fondamentaux :
1) L’impulsion de toute pensée est le besoin humain de connaître la vérité :
a. la réalité de qui on est,
b. et de ce qui se passe dans notre vie,
(2) il faut deux esprits pour penser les pensées les plus dérangeantes
Selon André Green, qui distingue le « négatif » du « négativisme ». Le négatif c’est le manque dans l’absence. Le négativisme quant à lui « fait l’expérience de la négativité… en conférant au manque tous les attributs du mauvais objet ».
L’auteur ajoute :
« La relation est prise dans un mode :
· D’une souffrance
· D’une revendication
· D’un grief dont rien ne pouvait venir à bout »
Par ailleurs, il est important d’avoir lu D. Winnicott en ce qui concerne l’origine du négatif (Cf. Le travail du négatif p 15) : « Les expériences traumatiques qui ont mis à l’épreuve la capacité d’attente de l’enfant à l’égard de la réponse ardemment souhaitée de la mère, conduisent, faute de cette réponse, à un état où seul ce qui est négatif est réel. Qui plus est, la marque de ses expériences serait telle, qu’elle s’étendrait à toute la structure psychique et deviendrait indépendante, pour ainsi dire, des apparitions et disparitions futures de l’objet ; ce qui signifie que la présence de l’objet ne saurait modifier le modèle négatif, devenu la caractéristique des expériences vécues par le sujet. Le négatif s’est imposé comme une relation objectale organisée, indépendante de la présence ou de l’absence de l’objet. »
A. Green précise des choses remarquables :
« Le sujet est alors plongé dans la souffrance, la rage, et l’impuissance
Ce qui va engendrer une certaine paralysie psychique.
Le sujet s’offre comme proie à l’objet,
Elle (la psyché) charge l’objet d’une culpabilité qui appelle son repentir et son retour,
Après l’avoir tué sans même s’en être aperçue,
Elle veut provoquer sa résurrection : ni dans celui du transitionnel ou de la représentation, mais dans celui d’un imaginaire « surréel » exclusivement affectif !! Créé par la seule force de la plainte, qui relance indéfiniment le processus de quérulence douloureuse. »
Le but : « faire sortir l’objet de son absence »
Résultat : « une auto amputation du moi qui donnerait naissance à un sentiment de vide ou de gouffre qui n’est autre qu’un double, sorte de souffre-douleur de soi-même ».
Nous allons maintenant voir l’origine du déploiement à outrance de la ratiocination chez la personne « négative ».
André Green - Winnicott : le faux self – Le travail du négatif P 22 :
« Lorsque le sujet aura échappé à la tentation de s’abimer entièrement dans le refus total ou dans l’impossibilité d’un quelconque déplacement, lorsque même il aura réussi à donner le change de son consentement à continuer à vivre, s’installe, derrière ce que Winnicott a nommé « le faux self » :
· Une pensée qui ruse magistralement avec ses distorsions imaginaires et spéculatives
· Jeux de cache-cache
· Les stratégies d’évitement de la prise de conscience ou d’occultation des contenus de sa propre pensée,
· L’acharnement à écarter toute reconnaissance des liens du préconscient avec l’inconscient (n’est pas sans évoquer ce qui dans le champ de la sexualité serait nommé perversion)
…
Les modalités par lesquelles la négation se fait dénégation : celle grâce auxquelles le narcissisme vient relayer le masochisme pour assurer la clôture qui le rend imperméable au changement. »
Le manque du manque
Vous comprenez maintenant pourquoi il est si difficile de faire entendre une remarque ou une critique à une personne « négative ». Car elle souffre d’une carence terrible : le manque du manque. Toute personne ayant vécu hors des effets de la castration symbolique, ou n’ayant eu de rapports à l’autre qu’au niveau de la satisfaction des besoins et des désirs… aura affaire aux méfaits terribles du négatif.
Vous pensez qu’il s’agit de frustration, chose qui est difficilement supportable pour la plupart d’entre nous !! Mais en réalité, il s’agit du « manque » qui n’est pas intégré par le sujet. C’est la structuration du sujet vis-à-vis de la dimension du manque, qui a manqué. C’est sa restructuration qui va permettre d’encaisser et de supporter la frustration. Croire qu’il suffit de réaliser ses désirs pour obtenir paix et sérénité est un mythe hélas bien répandu de nos jours.
Y’a-t-il une solution à ce problème ?
Nous allons lire dans ce sens l’éminent LACAN – Cf. Séminaire l’angoisse :
«
– Faut-il un changement structural ?
– S’agit-il d’obtenir une harmonie interpersonnelle ?
– S’agit-il de viser une bonne communication ?
– S’agit-il de viser une adaptation réussie du sujet à la société ? »
Concernant l’analyse,
« La visée de l’analyse, c’est une attitude scientifique toujours approfondie :
A. du sujet devant ses problèmes,
B. du sujet par rapport à ses objets internes,
C. du sujet par rapport à ses expériences vécues, son histoire et son présent.
Et cette attitude scientifique, c’est celle qui est inhérente aux règles mêmes de l’analyse, puisque l’analyseest en effet, non pas une méthode d’application d’un savoir, mais bien une recherche toujours plus approfondie du vrai, mais du vrai, nous semble-t-il, et c’est moi qui parle, défini en termes de sciences exactes. »
Concernant la vérité,
LACAN nous invite à nous interroger pour parvenir à distinguer :
«
1. la vérité subjective du sujet,
2. la vérité du désir,
3. et cette vérité objective qu’il s’agirait de promouvoir pour lui,
· pour amener le patient, non seulement à réussir son analyse,
· à analyser sa névrose de transfert,
· à démystifier les leurres du transfert,
· mais également, par la suite, à trouver la même attitude dans sa propre vie. »
Concernant La finalité de l’analyse,
Cf. Séminaire l’angoisse :
« le sujet d’un manque, marqué du sceau de la castration, et que c’est la séparation qu’il doit pouvoir accepter ».
Et pour conclure, je vous invite à admirer ce verset du Coran :
لَا إِكْرَاهَ فِي الدِّينِ ۖ قَد تَّبَيَّنَ الرُّشْدُ مِنَ الْغَيِّ ۚ فَمَن يَكْفُرْ بِالطَّاغُوتِ وَيُؤْمِن بِاللَّهِ فَقَدِ اسْتَمْسَكَ بِالْعُرْوَةِ الْوُثْقَىٰ لَا انفِصَامَ لَهَا ۗ وَاللَّهُ سَمِيعٌ عَلِيمٌ
Mettons le curseur au niveau de ce terme الرُّشْدُ qui signifie « la maturité » « la raison » « le bon jugement », pour y parvenir, il est mis une condition absolue :
Nier et dénier sa foi envers الطاغوت qui signifie : « toute conscience érigée sur la voie du bien pour détourner les gens et les empêcher d’y parvenir ».
Vous l’aurez remarqué, il s’agit de nier, de dénier, ou bien d’opérer une véritable négation absolue, qui va structurer toutes les affirmations utiles et essentielles à chacun de nous pour tenir une position comme étant vraie et s’affirmer presque dans l’absolu comme ayant un accès même relatif à la Vérité.
A suivre…
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